la crise des médias québécois est bien réelle.
Pourquoi la culture québécoise ne doit plus chercher à se protéger, mais à s’insérer.
Pierre Karl Péladeau a refait son apparition médiatique annuelle il y a quelques semaines.
Sauf que pour une fois, ce n’était pas une démonstration de force : c’était un aveu à demi-mot. TVA vacille. Et lui aussi, un peu (beaucoup).
Même ton. Même blâme sur les plateformes. Même appel aux gouvernements. Mais cette fois, il n’y avait plus de posture triomphante, plus de faux calme. Juste un soupçon de panique. Pour la première fois, PKP a laissé entrevoir ce que tout le monde sait déjà : l’idée d’un écosystème culturel québécois autonome et autosuffisant ne tient plus.
Mais la vérité, c’est que cette crise ne date pas d’hier. Elle ne commence pas avec la dernière vague de licenciements. Et elle ne se règlera pas à coups de crédits d’impôts ou de plaidoyers pour un “Internet plus juste”. La crise dont on parle ici, c’est celle d’un modèle qui n’est plus fonctionnel depuis plus d’une décennie. Un rêve qu’on refuse de laisser mourir : celui de maintenir un modèle clos de production et de diffusion, autonome, soutenu par des politiques culturelles pensées pour un monde pré-algorithmique.
Ce rêve-là s’effondre, et ce qu’on vit, ce n’est pas la surprise. C’est la fin d’un cycle.
notre créativité et nos capacités de production ne suffisent plus.
Le Québec ne manque ni de créateurs, ni de contenu. On fait des albums qui tournent, des séries qui voyagent, des artistes qui performent. Le tout avec nettement moins de ressources qu’à l’étranger. Ce qu’il nous manque, c’est la capacité d’exister là où l’attention circule aujourd’hui.
Cœur de Pirate est sur les playlists internationales depuis plus d’une décennie. Charlotte Cardin remplit les salles à Paris comme en Turquie. Xavier Dolan est plus cité à Cannes qu’à Télé-Québec. Alors qu’une série édifiante comme Empathie — qui a pourtant généré une conversation forte ici — peine à exister au-delà de nos frontières.
Ce n’est pas une question de qualité, ni même d’originalité. C’est une question de présence dans les systèmes culturels dominants : plateformes, algorithmes, réseaux sociaux, curation internationale. Être là où les publics se trouvent, même s’ils ne nous cherchent pas activement.
Aujourd’hui, le défi n’est plus de produire des œuvres québécoises, mais de les faire circuler là où l’attention se construit. De les insérer dans les circuits culturels dominants — sans se trahir, mais sans attendre d’être invités non plus. La solution, c’est d’apprendre à habiter intelligemment les plateformes qui existent déjà. Comprendre leurs formats, leurs codes, leurs logiques. Et surtout, former des curateurs d’ici capables de faire le pont : entre ici et ailleurs, entre la singularité locale et les flux globaux.
Produire ne suffit plus.
Il faut que ça circule.
on ne gagnera pas en concurrençant les plateformes.
On l’a vu avec Qlub, qui voulait offrir une alternative québécoise à Facebook. On le voit avec MUSIQC, qui tente d’exister dans l’ombre de Spotify. Chaque tentative de recréer une version « locale » d’une grande interface culturelle part d’une intention louable : défendre la culture d’ici. Mais à chaque fois, on se heurte au même mur. Pas à cause d’un manque d’idées ou d’ambition, mais parce qu’on continue de jouer avec les règles d’un monde qui n’existe plus.
Nous devons être réalistes. On n’a pas l’échelle, ni la masse critique, ni les ressources nécessaires pour rivaliser avec des infrastructures mondiales. Et surtout, ce n’est pas là que se trouve notre force.
Notre vrai pouvoir est ailleurs : dans notre positionnement culturel. Montréal — et par extension le Québec — agit comme un carrefour fluide, un entre-deux bilingue, transatlantique, diasporique. Un territoire fertile qui sait parler aux scènes européennes, nord-américaines, africaines, latines — parfois même toutes en même tempsIci, une artiste peut enregistrer un feat avec un rappeur marocain, jouer à Berlin le mois suivant, puis sortir un EP en franglais — sans que personne ne lève un sourcil. Cette position est une anomalie géographique. Et un levier stratégique qu’on n’exploite pas assez.
Mais pour que ce potentiel se réalise vraiment, il faut sortir du réflexe défensif. Il faut qu’on arrête de bâtir des plateformes de substitution, des clones fermés et subventionnés. Ce qu’il nous faut, c’est une stratégie d’infiltration. Apprendre à exister dans les écosystèmes qui structurent déjà la circulation culturelle mondiale, plutôt que d’essayer de les contourner.
Spotify, TikTok, Netflix, YouTube… Ce ne sont plus de simples plateformes : ce sont les nouvelles infrastructures culturelles. C’est là que les récits émergent, que les codes circulent, que l’attention se fabrique. Ces écosystèmes définissent ce qui est vu, ce qui est entendu, ce qui est remixé — pas seulement chez nous, mais partout.
Il ne s’agit donc plus de les combattre comme des ennemis. Il faut apprendre à les occuper. À les comprendre de l’intérieur, sans se dissoudre. À jouer avec leurs logiques, sans s’y soumettre entièrement.
La souveraineté culturelle aujourd’hui ne passe plus par le contrôle de toute la chaîne — de la production à la diffusion. Elle passe par la capacité à faire exister nos récits dans les flux, à orienter l’algorithme plutôt qu’à le subir, à créer des points d’entrée là où on ne nous attend pas.
Ça veut dire hacker une playlist. Placer une œuvre dans un trend. Concevoir une narration qui respire à la fois ici et ailleurs. Et pour ça, il faut former autre chose que des producteurs : il faut des opérateurs culturels. Des gens capables de faire circuler, traduire, relier. Pas des monsieurs blancs qui refusent d’admettre que leur fils écoute du Shreez. C’est correct. Ça va aller.
ce n’est pas une défaite. c’est une évolution.
Reconnaître qu’on ne peut plus tout faire seuls, ce n’est pas renoncer. C’est comprendre que nos récits ont besoin de relais, pas de murs. Que nos artistes peuvent grandir en circulant, pas en se confinant. Et que dans un monde de plateformes, la vraie puissance culturelle, c’est la capacité à exister là où les histoires se rencontrent, pas là où elles s’isolent.
Tant qu’on continuera de bâtir des plateformes de substitution, on s’épuisera à jouer un jeu qu’on ne peut pas gagner. Mais si on accepte que le vrai levier, aujourd’hui, c’est d’insérer nos récits dans les flux existants — de hacker l’infrastructure avec finesse — alors on peut retrouver de la portée. De l’élan. De la stratégie.
Ce n’est pas notre culture qui est en péril. C’est notre imagination institutionnelle. Et tant qu’on refusera de penser la culture comme une interface — un lieu d’interaction, de circulation, de transformation — plutôt que comme un canal fermé, on continuera de se heurter aux mêmes murs.
En d’autres mots ce n’est pas la culture qui s’épuise. C’est notre capacité à l’insérer dans le monde qui change.
"Ce n’est pas notre culture qui est en péril. C’est notre imagination institutionnelle" 💯
Bien dit